La galerie Albert Benamou - Véronique Maxé présente pour la troisième fois à Paris une exposition de sculptures et de dessins de l’artiste coréen Xooang Choi. Dans une nouvelle série «Blind for the Blind» le jeune homme poursuit l’exploration de ses themes obsessionnels qu’il incarne par des figures hyperréalistes en résine minutieusement ciselées.
L’impossible communication entre les êtres, les pulsions de vie et de mort, la sexualité, la douleur d’exister, la fracture sociale. Une anatomie d’écorchés, de fantômes silencieux qui claudiquent leur humanité blessée en proie à toutes les variations de la solitude.
L’Art Contemporain, la photographie, le cinéma, à travers des parcours singuliers, dissèquent avec une férocité jamais atteinte le Théâtre de la Cruauté. Tyrannies, massacres sériels et répétés, désastres de la guerre, traumatismes psychiques, et leurs exorcismes ....
Le 20 ème siècle a ouvert un champ plus large au langage du corps pour les artistes. Il devient une expression plastique, un spectacle, une prospection sensorielle où se déclinent toutes les souffrances et le refoulé d’une société. A chaque génération se succèdent des guides, des acteurs qui tentent d’illustrer des conflits, entrainent leur propre chair, leur «moi peau» à des facéties plus ou moins morbides. Le Surréalisme et le Dadaïsme tournent le corps en dérision, le parodient, le machinisent, le «nihilisent». Puis il devient l’œuvre, pour le créateur comme pour le spectateur. L’actionnisme viennois à travers des rituels barbares, orgiaques, de sangs et d’excréments va s’employer à dénazifier une nation toute entière. Le Body Art propulse sur la scène des happenings sado masochistes: Marina Abramovic, Gina Pane, Ana Mandieta s’immolent dans des auto flagellations extrêmes qui oscillent entre la meurtrissure physique et l’automutilation.
«les effroyables limites du corps humain»Â Kafka
Après le sacrifice, l’immolation, une certaine forme de maniérisme et d’ironie s’insinue. L’enveloppe s’échappe, se déforme, et des marionnettistes du bricolage d’identité instaurent un «ordre anatomique nouveau». Matthew Barney met en image une humanité hybride, les Cyborgs, dans son cycle de films Cremaster. Patricia Piccinini accouche des créatures mutantes, les frères Chapman des enfants androgynes hypersexués. Ron Mueck, Evan Penny, Gullivers méga-réalistes fabriquent des géants mélancoliques, Maurizio Cattelan des «mini me», un garçonnet Hitler. Duane Hanson expurge les anti-héros de la société américaine, tandis que Marc Quinn ampute, Louise Bourgeois tronque, Orlan greffe.
Chacun s’accorde à exploiter les dernières découvertes de la chirurgie esthétique, de la biologie à la génétique, et à penser différemment les codes et les tabous.
Le cinéma n’est pas en reste. David Cronenberg (Existenz) ou Pedro Almodovar (Dans ma peau) déclinent les désordres de scientistes qui expérimentent leur folie de démiurges sur des innocentes ou des consentants cobayes. Frankenstein en est le père légitime, monstre douloureux sorti du laboratoire d’un savant hanté. Suivi par les créateurs des films gore qui rivalisent en hémoglobine de prouesses techniques et d’effets très spéciaux.
Choi n’échappe pas à cette esthétique du spectaculaire. Après les créatures autistes de son «syndrome d’Asperger» il a repeuplé de damnés égarés une antichambre crépusculaire, un Festin nu : scarifications, tatouages, greffes, mutilations, transsexualisme, difformités, rien n’est épargné à ces enfants d’un nouveau Genre . « Le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler pour que se recompose à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables » Hans Bellmer.
L’originalité de Choi Xooang est de s’intéresser au lien, dans tous les sens, - le couple, ou plutôt son impossible - qui tisse par la couture, la ligature, le nœud, tout ce qui exprime l’attachement mais surtout l’arrachement. Son vocabulaire dissocie ses figures autour du double, mais de doubles contrariés: pas de fusion, pas de séparation, des unions siamoises, zoomorphes, homophiles.
Des Jeunes filles désemparées, dupliquées, se cherchent un reflet dans un miroir flou. Etreintes par derrière, pénétration au poing, répression du désir, imbrications, vampirisations mentales (comme chez Edvard Munch). La pulsion morbide solitaire, l’empêchement, se substituent à la douceur et aux grandes espérances. Nul ne se regarde sauf pour se contraindre. Ces corps à corps, contre - corps, deviennent des allégories d’amours contrariés. Les personnages, s’aveuglent, se violentent avec une désespérance aigüe.
Les chairs, traitées avec une éblouissante technique, se superposent comme les pelures d’un oignon. Livides, tourmentées, bleuies, obscènes, comme celles de Lucian Freud dont il admire les oeuvres. L’épiderme devient sur-derme, armure fragile corsetant ces fragiles silhouettes. Des rubans suturent les torses, les chevilles, cousus avec la grâce d’un Watteau travaillant les bas et les taffetas, mais la férocité d’un Laclos dans les liaisons dangereuses. Les blessures stylisées sont aussi incurables que celle d’Amfortas dans l’opéra de Wagner ou le grec Philoctète abandonné sur son île.
Son humanité est jeune et les premiers balbutiements de ces égarés se font dans la douleur et la convulsion. Les adolescents s’entrechoquent, mains crispées, os contre os, œil pour œil, dent pour dent... se muent en chiens, autruches, et l’animalité transgressive de chacun affleure dans ce combat à tue et à toi. On y retrouve l’influence de Francis Bacon, toujours en fond de ring.
Les prothèses monstrueuses, complètent et appareillent sa collection de freaks. «Le corps comme la prothèse du moi» déclare David Le Breton. Comme Cronenberg dans son film «Crash», Choi accentue l’érotisation perverse fondée sur la fascination et la répulsion. Un fétichisme du handicap. Au delà, il raconte aussi en la symbolisant, la part mutilée de chacun. «Le manque rend humain» disait Michel Journiac.
Des dessins anatomiques contrebalancent en études délicates l’impact mortifère de ses sculptures. Lavis, aquarelles aux couleurs tendres, érotiques, comme ceux de Rodin ou de Klimt, traits légers de crayons, larmes laiteuses dans des yeux gorgés, sexes mêlés, prothèses-jambes de chaise, crânes habillant les visages comme des masques de carnaval. Auto-sensualité d’un enfant autiste qui se cherche des jouets, des objets transitionnels et des consolations, pour ne pas s’effondrer. La tendresse affleure à travers ce regard mouillé, un œil unique tacheté, planète solitaire. Les grands yeux des enfants dans les mangas coréens (manhwas).
Pour cet écorcheur de suppliciés du sentiment, ces «carcasses potentielles», le corps devient un symptôme, une somatisation des conflits psychiques, sociaux, institutionnels. Cet artiste écartelé, dans un pays déjà divisé, incarne le paradigme de l’altérité. Dans ces figures miniatures qui deviennent des doubles d’autoportrait il modifie notre perception des limites de l’humain et établit une identification au blessé, à l’incomplet, au mutilé. Une passerelle de compassion, de réhabilitation du lien social, émotionnel. Â
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Véronique Maxé
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Reflection ( détail ) - 2012
 82 x 52 x 87 cm
 Oil on Resin - Solid Wood
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